Mue d'écorces
Maintenant pourrait être hier ou demain. Printemps du jour, jour de tous les printemps. Devant cette même fenêtre, vue sur le monde et la permanence d’une plante. Je reconnais ce bouquet de colza sur fond de bitum, soleil devant le masque des nuages. Il danse dans le vent, s’accouple fébrilement aux bourrasques. (De quels embruns est-il chargé, ce vent du sud ? De quels continents porte-t-il les traces ?) J’admire la topaze végétale et vibrante, comme je l’ai admirée aux marées des ans. La même fascination visite mon corps suspendu. Cycle du temps dans la flèche du temps. Ce mouvement d’aile dans les branches, voyage continu fait de mystérieuses alternances, une valse légère, une errance revenue. Poétiques redondances. L’océan caressé, les montagnes renversées, je sens tous ces ailleurs, ces échappées au lointain, déjà là, toujours là, toutes rassemblées, toutes immédiates. J’en sens la morsure délicate, l’espace courbé par la pesanteur des chairs, l’étrange poids d’un sentiment. Une fois encore, l’arbuste retrouve la même fraicheur, gagne en tour de taille, ressuscite plus grand qu’il n’est mort. Je ne vais jamais si loin dans son sommeil, pourtant j’en sors moins robuste, invariablement. Mais plus mon âge s’élève, moins il ne signifie. Tel un fort intérieur, un arbuste flotte sur les mouvements délitescents, air solide au creux de ma conscience, note pérenne au silence de ma voix. Les continents que j’ai visités, ils me visitent encore. Les heures que j’ai aimées, elles m’aiment encore. Celles que j’attends, m’attendent toujours. Rien n’a bougé au-delà de cette danse de matière et d’eau, où l’air a fait son nid, d’où le feu surgit en blondes flammes. Et devant leur manège fabuleux, ma rétine redevient terre de soufre, éclatante luminescence solaire, irradiant mes sensations de toutes les dimensions réunies. L’horizontale d’une présence.Par Complexus